Durant plus d’une décennie où il avait gouverné par le biais d’alliances politiques, Ennahdha avait multiplié les faux pas, les mauvais choix, les ratages à tous les niveaux. Un état de fait qui explique le rejet d’une grande partie des Tunisiens ainsi que l’effritement de son réservoir électoral, voire de sa base.
Le parti Ennahdha, mouvement islamo-conservateur après les années de gloire, est exposé à une menace sérieuse d’interdiction. Cette formation, qui s’est construite au fil des décennies et dans l’adversité sur la base de références idéologiques et religieuses, est au cœur de la tourmente à présent. Il faut dire que depuis sa création même, le mouvement est tiraillé par des courants internes mais limités qui ne pouvaient en aucun cas menacer son existence comme c’est le cas aujourd’hui. Or, les événements qui se sont accélérés après le processus du 25 juillet semblent annoncer une rupture politique inédite, à l’effet de séisme mettant fin à une hégémonie qui a duré plus d’une décennie.
Aujourd’hui, le parti passe par l’une des périodes les plus sombres de son histoire. Son chef historique, ainsi que ses principaux leaders et anciens ministres sont en prison, ses permanences sur l’ensemble du territoire sont fermées et sa base totalement désagrégée, en apparence du moins.
Ennahdha est dos au mur. Néanmoins, il continue de vouloir jouer le rôle d’opposant farouche au Président de la République Kaïs Saïed et au processus du 25 juillet. Or, pour certains observateurs de la scène nationale, c’est perdu d’avance, le parti ne peut plus puiser dans sa popularité d’antan.
Au cœur de cette conjoncture tendue, des voix s’élèvent pour interdire le parti de Montplaisir. La première et la plus tenace est évidemment celle de la présidente du PDL, Abir Moussi, qui n’a cessé de fustiger le mouvement de Kharadhaoui, comme elle l’appelle au nom du cheikh et leader des Frères musulmans qui officiait depuis le Qatar, aujourd’hui décédé.
Dans le nouveau parlement, des députés s’activent pour tenter de classer le mouvement comme organisation terroriste. La députée Fatma Mseddi explique que des élus ont lancé une motion à cet effet. Selon la parlementaire qui s’active, cette motion vise, également, à dissoudre le parti, sur fond de suspicion de financements occultes de l’étranger et d’implication dans les assassinats politiques qui ont ensanglanté plusieurs années de suite la Tunisie.
«Personne ne peut dissoudre le parti»
Parallèlement, plusieurs activistes politiques poussent dans le même sens et veulent incriminer le parti pour ce qu’ils appellent son passé violent. Autant dire qu’Ennahdha, depuis sa naissance, a toujours été lié à un historique de violence et de clandestinité. Ce constat est renié par ses leaders qui revendiquent aujourd’hui des activités légales et conformes à la loi.
Le président par intérim du mouvement Ennahdha, Mondher Ounissi, considère que «ni le parlement ni qui que ce soit ne peut dissoudre le parti Ennahdha». Selon ses propos, le parti s’est soumis volontiers à toutes les investigations. Ses locaux ont été perquisitionnés par la police qui n’a pas trouvé la moindre preuve sur une éventuelle implication dans des actes de terrorisme ou de corruption.
«On interdit à Ennahdha, un parti politique légal, de se réunir dans ses locaux. Où pouvons-nous nous réunir ? C’est une décision étrange… On parle de l’application du décret réglementant l’état d’urgence que le président lui-même avait qualifié lors de sa campagne électorale d’anticonstitutionnel», a-t-il tenu à rappeler.
Le leadership de Rached Gahnnouchi était de plus en plus contesté
En tout état de cause, le parti Ennahdha semble passer par l’un des pires moments de son histoire, et de payer cher la mauvaise gestion des affaires de l’Etat, les revirements, les trahisons même contre ses alliés politiques les plus proches.
Durant plus d’une décennie où il avait gouverné par le biais d’alliances politiques, Ennahdha avait multiplié les faux pas, les mauvais choix, les ratages à tous les niveaux. Un état de fait qui explique le rejet d’une grande partie des Tunisiens ainsi que l’effritement de son réservoir électoral, voire de sa base.
Plusieurs questions se posent maintenant: Ennahdha est-il toujours en mesure de réorganiser ses troupes pour se repositionner sur l’échiquier politique ? Peut-il réussir à regagner la confiance de son électorat historique d’abord ? Parviendra-t-il à opérer les réformes nécessaires et tourner cette page sombre de son histoire ? De nombreuses questions se posent alors que les leaders du parti peinent à rassurer la base sur la capacité du mouvement à dépasser ces problèmes profonds pour se refaire une santé.
Pour rappel, le parti était au bord de l’implosion avant même le 25 juillet. Le leadership de Rached Gahnnouchi, qui refusait de passer le flambeau, était de plus en plus contesté. A présent, le parti, empêtré dans des affaires judiciaires, saura-t-il sortir de ce marasme. Pourra-t-il sacrifier son leader, sa figure tutélaire, pour sauver sa peau ?
Mais encore, est-il utile, opportun d’interdire le mouvement Ennahdha, et le classer comme organisation terroriste ? Selon le politologue Sahbi Khalfaoui, ces risques sont bien réels et «cela ne peut entraîner que davantage de chaos». Les approches qui visent à éradiquer les structures politiques organisées n’aboutiront pas, selon lui. «La répression des islamistes par Ben Ali durant 23 ans les a renforcés au point d’en faire une redoutable machine à remporter les élections», a-t-il tenu à rappeler, estimant que ces manœuvres peuvent réinstaurer Ennahdha dans le carré victimaire et les faire prospérer de nouveau.